Souvenir… 5 frères et sœurs ivoiriens à Béziers, à l’école, dans les années 60, une illustration émouvante de la relation toujours prégnante entre Côte d’Ivoire et France

Lors de mon dernier récent voyage à Abidjan, j’ai eu la chance de rencontrer, par l’intermédiaire d’amis communs, un couple ivoirien avec qui, j’ai, autour d’un dîner, lié immédiatement sympathie, comme souvent dans ce pays si accueillant. Quelle ne fut pas ma surprise de comprendre dès les présentations, que mon interlocuteur, Daniel Doukouré, connaissait bien Béziers, ma ville de résidence qui est aussi celle du siège du CEFICE. Il y a en effet accompli, sept ans durant, une grande partie de sa scolarité, années qui auront marqué son adolescence. Mais encore plus surprenant, il n’était pas seul. Il y est arrivé, « expédié » comme il le dit lui-même, avec ses quatre frères et sœurs, conduits avec détermination jusqu’à leurs écoles respectives par leur mère !

 A ce jour, il conserve de cette longue période de son enfance – lui comme l’ensemble de la fratrie –  quelque six décennies plus tard , un souvenir ému où se conjuguent joie nostalgique d’une jeunesse heureuse, reconnaissance envers ceux qui l’ont accueilli et formé, plaisir d’avoir maintenu de fidèles amitiés et douce sensation d’être encore enveloppé  des clémentes effluves du biotope méditerranéen…

 A ma demande, il a rédigé quelques lignes de cette expérience si originale que je me plais à retranscrire in extenso ci-dessous. Une illustration parmi tant d’autres de la relation historique entre nos deux pays et des liens forts qui se sont tissés entre leurs hommes et leurs femmes. Quelques photos jaunies par le temps témoignent de ce passé touchant, toujours présent. Puissent ces rencontres se perpétuer !

  Jean Dollé

 

SOUVENIRS D’UNE FRATRIE IVOIRIENNE EN TERRE BITERROISE

Il y a de cela cinquante-huit ans révolus, à une époque où l’autorité parentale revêtait encore un sens qui a perdu depuis en substance, nos parents décidèrent d’envoyer leur progéniture en exil scolaire, s’imposant ce faisant un lourd sacrifice à la fois affectif et financier.

Ils prirent cette option en toute conscience avec l’intime conviction que c’était, pour leurs enfants, la voie la plus sûre d’accès  au savoir et au savoir-faire susceptibles de les placer plus tard en situation d’être des cadres utiles au développement de la jeune nation qui venait d’accéder à la souveraineté, en l’occurrence la Côte d’Ivoire notre terre natale !

A cette époque, en effet, si les parents parvenaient sans difficultés, avec la plus grande rigueur, à se charger de donner une éducation citoyenne à leurs enfants, il était devenu courant de se tourner vers les établissements de l’ex-métropole réputés, à tort ou à raison, plus outillés pour dispenser une formation de haute qualité.

Cependant, à ces exilés scolaires, il fallait bien leur trouver un point de chute !

A ce stade, coup de pouce du destin ! En effet, en 1946 celui qui était à l’époque le leader politique visionnaire de la Côte d’Ivoire, alors colonie française, avant d’en devenir le Président, le Député Félix Houphouët-Boigny avait déjà perçu toute l’importance, pour l’émancipation future de son pays, de pouvoir disposer de ressources humaines de qualité. Il prit donc  l’initiative d’envoyer un premier contingent d’élèves en formation dans des lycées métropolitains, dont certains en Languedoc-Roussillon.

Parmi eux figurait une amie proche de notre famille qui finira du reste Professeur d’Université ! Pour avoir séjourné en Languedoc, c’est donc elle qui littéralement décida que les cinq enfants composant notre fratrie devaient être expédiés à Béziers au motif que le climat y était plutôt clément et surtout que les gens y étaient accueillants et chaleureux ! Cette réputation d’hospitalité, un trait aussi marquant de notre culture ivoirienne, ne pouvait qu’être perçu favorablement de notre part.

Il n’en fallut pas plus pour rassurer nos parents sur le sort qui serait celui de leurs ouailles, si loin du cocon familial dont ils ne s’étaient encore jamais extraits !

C’est ainsi qu’en  septembre 1962, cinq petits Ivoiriens, trois frères et deux sœurs, arrivèrent en terre biterroise accompagnés de  leur maman. Les garçons furent inscrits à La Trinité et les filles au Cours Fénelon.

Les arguments utilisés par notre  pionnière dans son plaidoyer en faveur du choix de Béziers ne tardèrent pas à s’avérer tout à fait justes.

En voici l’illustration : le jour de la rentrée à l’Internat du Cours Fénelon, notre mère et nous les garçons accompagnâmes donc la composante féminine de la fratrie. Peu avant la séparation dans le hall des visiteurs, voilà que nous fûmes approchés par une dame à l’allure fort distinguée. Celle-ci se présenta comme étant le médecin de l’établissement en s’interrogeant sur le jeune âge de ces nouvelles pensionnaires. Ce à quoi notre mère, sage-femme de son état, lui exposa les motivations ayant fondé ce choix, notamment l’instruction de qualité et l’éducation citoyenne, primordiaux pour son médecin de mari et elle-même. Cette Dame déclara sur le champ à notre mère qu’elle pouvait rentrer rassurée chez elle parce que, dès cet instant, elle prenait l’engagement de veiller sur ses enfants ! Ce bref  et saisissant échange nous offrit ainsi notre première famille d’accueil, notre « correspondant » comme cela se disait à l’époque ! Quelle touchante et extraordinaire entrée en matière !

Il  serait naturellement difficile de citer ici tous les condisciples avec qui nous avons évolué en si bonne intelligence de 1962 à 1968 dans le cadre des activités scolaires, extra-scolaires, sportives, récréatives, etc.

A aucun moment de notre long passage (7 ans !)  dans nos deux établissements scolaires d’accueil, nous ne nous sommes sentis ni dépaysés, marginalisés ou maltraités parce que venant d’ailleurs ou appartenant  à la minorité visible ou à la diversité comme on le dit avec emphase de nos jours. Il n’est point inutile, même après tant d’années, et au regard de la vie qui fut ensuite la nôtre, de porter fidèlement témoignage de ce parcours mémorable et exemplaire à plus d’un titre !

Notre séjour s’est ainsi déroulé dans une atmosphère de chaleureuse et franche amitié. A cet égard, nous eûmes même du mal à satisfaire les multiples invitations à passer du temps en famille qui pleuvaient de la part des camarades de classe ou d’internat.

Du fait de la bienveillante et réconfortante hospitalité biterroise, de l’esprit de camaraderie, de convivialité de nos condisciples et du climat méditerranéen plutôt favorable, nous n’avons guère éprouvé le mal du pays ni véritablement souffert de cette séparation précoce d’avec nos géniteurs !

Nous eûmes ainsi le bonheur de nouer dans le Languedoc-Roussillon, au-delà et notamment avec des familles pieds noirs, arrivant elles-aussi la même année mais pour d’autres raisons, de nombreux liens très étroits qui nous ont permis de découvrir les richesses culturelles, gastronomiques et viticoles de ce terroir auquel nous demeurons encore maintenant si attachés.

Nous avons fini par nous y sentir en somme comme des enfants du pays ! Combien de villes, villages, domaines et hameaux, où parfois nous constituions une véritable curiosité, n’avons-nous pas découverts avec enthousiasme et curiosité ! Nous avons ainsi pu échapper à l’enfermement destructeur dans le ghetto infécond du repli sur soi.

Certains camarades, hélas peu nombreux, nous ont même fait l’amitié d’un séjour en Côte d’Ivoire où nous avons déployé des trésors d’imagination pour rendre leur passage inoubliable !

Nous ne saurions omettre, dans le cadre de ce témoignage, de rendre un hommage des plus mérités, bien que posthume pour la plupart, à tous nos formateurs et encadreurs envers qui nous nourrissons une infinie reconnaissance pour tout ce qu’ils nous ont apporté en termes d’apprentissage de la vie dans toutes ses dimensions.

En définitive, gloire en soit rendue à Dieu,  nous parvînmes  avec bonheur  à réaliser l’objectif scolaire visé par nos parents en nous expédiant à Béziers ! En effet, l’aventure éducative  et formatrice se poursuivit à Toulouse, Montpellier et  Paris avant de s’achever, pour chacun, nanti du savoir, du savoir-faire et du savoir-être,  par une carrière dans le domaine où il a choisi de s’épanouir en étant utile.

Merci infiniment encore pour toutes ces merveilleuses et inoubliables années passées en terre biterroise qui nous ont si heureusement façonnés et marqués.

Pour la  Fratrie, Daniel Doukouré

 

 

Fratrie Doukouré à Béziers

Classe de filles, Cours Fénelon, Béziers

Promotion 65-66, classe de seconde, La Trinité, Béziers

Première communion, Béziers

Vacances à Font Romeu