La chloroquine, un espoir face à la montée de l’épidémie en Afrique ? Les autorités sanitaires nationales étendent l’autorisation de ce médicament populaire et bien connu.

 

Le Sénégal, le Maroc suivis par les autres pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb autorisent tour à tour l’hydroxychloroquine, une molécule très proche de la chloroquine, envisageant des approvisionnements massifs voire des productions locales ou la relance d’unités existantes comme à Dakar. Les autorités sanitaires considèrent que ses effets secondaires restent modérés si on ne procède pas à de l’automédication et que l’urgence sanitaire justifie son administration, avant même la finalisation des essais cliniques en cours.

 

Un médicament jugé prometteur, bon marché et bien connu en Afrique

Ce médicament qui a l’avantage d’être bon marché (autour de 5€, 10€ associé à un antibiotique) serait susceptible d’enrayer la propagation de la maladie dans un continent sous-équipé. Utilisé pendant une trentaine d’années pour combattre le paludisme, il avait été abandonné à partir de 2002, sur les recommandations de l’OMS, le parasite à l’origine de la maladie étant devenu résistant. Mais il continuait à être prescrit pour d’autres affections et même vendu en officine sans ordonnance.

Les premiers résultats, à partir de patients traités depuis maintenant plus d’un mois sont jugés « encourageants ». Le médicament entraîne une diminution de la charge virale et permettrait donc de freiner la contamination. Selon Cheikh Sokhna, biologiste à l’antenne de Dakar du centre de recherche Vitrome de Marseille, l’enjeu est là : casser la chaine de transmission du virus ; en effet, en Afrique, à la différence d’autres pays du monde, le strict confinement est quasi-irréalisable : les populations vivent dans une grande promiscuité du fait de l’extrême densité urbaine, de foyers surpeuplés et concentrés, d’habitudes traditionnelles de contact mais tout autant en raison, pour la grande majorité des Africains, de la nécessité de sortir dans la rue afin d’assurer à la famille une subsistance au jour le jour dans des économies dominées par l’emploi informel, sans aucune protection sociale.

 

Un espoir pour l’Afrique, encore peu infectée mais démunie en cas d’explosion de l’épidémie

L’Afrique est encore relativement peu affectée : officiellement, il est dénombré à ce jour quelque 14 000 cas (0,75% du chiffre mondial) et 766 décès (0,66%) alors que sa population représente 17% du total de la planète.

Certaines spécificités africaines se conjugueraient pour composer un « écosystème » (Prof. Raoult) qui expliquerait la relative moindre dissémination du virus : jeunesse de la population, résistance aux virus, climat tropical, consommation courante de traitements antipaludiques, expérience sanitaire dans la gestion d’autres fléaux tels l’Ébola, mesures préventives décidées en amont à partir de l’exemple des pays précurseurs…

Mais si la courbe exponentielle observée ailleurs se déclenchait – ce qui semble à beaucoup inéluctable – alors l’épidémie serait ravageuse dans un continent aux villes surpeuplées, manquant d’équipements et de soignants, aux économies déjà secouées par les ondes de la récession mondiale. La mobilisation de l’aide internationale, appelée par la France, l’UE et d’autres partenaires, sera plus difficile et certainement en dessous des immenses besoins, étant donné le contexte global de crise.

 

Les liens africains du Prof. Didier Raoult, à l’origine du traitement du Covid-19 par la chloroquine,

Aussi le traitement par la chloroquine, à grande échelle, apparait-il comme une possible solution à la fois pour traiter en grand nombre, à moindre coût et pour limiter la propagation. Sa mise en œuvre est d’ores et déjà lancée, au Maghreb comme en Afrique subsaharienne.

Il est facilité par la relation de son inspirateur, le Prof. Didier Raoult, avec l’Afrique.  Né à Dakar en 1952, d’un père professeur de médecine tropicale dans le Service de santé des armées et d’une mère infirmière, il y a grandi puis y est revenu en 2012 alors qu’il dirigeait l’Urmite (recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes), une unité de l’IRD (Institut français de Recherche pour le Développement ), établie à Marseille et Dakar. Se proclamant « partiellement sénégalais », il entretient des liens étroits avec ses confrères de Dakar, tels le Prof. Boubacar Wade, qui dirige l’hôpital principal et le Prof. Moussa Seydi du CNHU de Fann. A noter aussi dans cette ville l’antenne (également à Papeete et Alger) de l’Unité mixte de recherche Vitrome de Marseille (Vecteurs-Infections Tropicales et Méditerranéennes), pilotée par l’IHU Méditerranée Infection (cf. ci-après) et dirigée par un collaborateur du Prof. Raoult, Philippe Parola.

Malgré son comportement hors normes et les polémiques qu’il nourrit, le Prof. Raoult est reconnu mondialement pour son apport à la recherche médicale internationale. Par ses parents, par son arrière-grand-père, Paul Legendre, un infectiologue français célèbre du 19ème siècle, il témoigne d’une longue filiation dans le domaine de la santé.

Son propre parcours est éloquent : Docteur infectiologue de l’université de Marseille, il rédige dès 2003, après l’épidémie du SRAS, un rapport sur les risques épidémiologiques où il pointe l’impréparation du système de santé français en cas de pandémie.

Bénéficiant de la subvention la plus élevée accordée en France pour la recherche médicale, il inaugure à Marseille en 2018 les nouvelles installations de l’IHU Méditerranée Infection (27 000 m2, 700 personnes dédiées aux soins, à la formation, au diagnostic, la recherche et la veille épidémiologique).

Il a donné son nom à deux bactéries dont une du typhus, a décrypté le génome d’une autre, celle à l’origine de la maladie de Whipple.  En 2010, il reçoit le grand prix Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) pour l’ensemble de sa carrière. En 2015, il entre dans le classement Thomson-Reuters des chercheurs les plus influents et en 2017, selon la société de notoriété Clarivate Analytics, il est le chercheur européen dont les publications ont été le plus citées, par la communauté scientifique internationale sur les maladies infectieuses. Le président Macron s’est rendu le 9 avril à Marseille pour le rencontrer longuement dans ses locaux de l’IHU. Didier Raoult lui aurait présenté une nouvelle étude sur le traitement qu’il propose. Cette fois, 1061 patients ont été traités à l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, avec une mortalité de l’ordre de 0,5 % et un taux de guérison « extrêmement élevé ».

Le professeur Raoult, par sa renommée, même controversée, conjuguée à sa proximité de l’Afrique, tant professionnelle qu’affective, peut sans aucun doute jouer un rôle d’influence entre le continent et le reste du monde. On notera qu’il accueille actuellement à l’IHU, 309 étudiants d’Afrique subsaharienne francophone et 217 du Maghreb, en masters, thèses et post-doctorats. Des accords institutionnels avec les universités d’Algérie, du Sénégal et du Mali ont été signés pour leur retour dans leurs pays d’origine, avec, dans ces pays, des bases de recherche IHU/IRD.

 

Au Sénégal, le Prof. Moussa Seydi, écouté à haut niveau, épouse la thèse de son homologue français

 Au Sénégal, il est relayé par un autre professeur, Moussa Seydi, 56 ans, un pionnier devenu incontournable, très écouté, notamment du président Macky Sall, lui-même en liaison avec son homologue français pour une harmonisation des actions contre le virus. Chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de Fann à Dakar, après des études en France et aux États-Unis, il a décidé de recourir à l’hydroxychloroquine, tout en restant prudent, dans l’attente d’études de validation plus complètes et sur des effectifs plus importants. Les premiers résultats sont prometteurs, les patients guérissant, selon lui, plus vite. A ce jour, le Sénégal compte 291 cas positifs, seuls 2 décès sont à déplorer.

 

La France et l’UE déterminées à soutenir l’Afrique

Ce traitement, quel que soit son avenir, illustre les coopérations denses entre les centres de recherche et services de santé africains et français. Le président Macron a insisté dans son allocution nationale du 13 avril, sur l’engagement de la France : « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, à les aider aussi sur le plan économique, en annulant massivement leur dette. Nous ne gagnerons jamais seuls. Parce qu’aujourd’hui à Bergame, Madrid, Bruxelles, Londres, Pékin, New York, Alger ou Dakar, nous pleurons les morts d’un même virus. »

 De son côté la présidente la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a décidé  le 7 avril de débloquer 15 Mds EUR d’aides pour les pays les plus vulnérables, estimant que face à la pandémie, « l’Afrique pourrait faire face aux mêmes problèmes que l’Europe dans quelques semaines à peine. Elle a besoin de notre aide pour ralentir la propagation du virus comme nous avons eu besoin d’aide dans cette crise ».

Pour en savoir plus :

Entretien Pr. Didier Raoult, ITV, groupe Emedia Invest, (Emedia.sn, iRadio 90.3 FM et iTV, canal 15 de la TNT, 217 du bouquet Canal + Afrique, et sur notre réseau digital) Sénégal, 7 avril 2020 (6mn42) : https://www.youtube.com/watch?v=5CfmpcFN6GU&feature=youtu.be

 

Le Pr. Moussa Seydi explique comment il utilise la chloroquine (RFI, Invité Afrique, 29 mars 2020 : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/invit%C3%A9-afrique/id934352267