Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal, RDC, Congo Brazzaville, Afrique du Sud, Tanzanie… : Des Africains, connus ou moins connus, hautement distingués cet automne 2021

Dans les arts et lettres surtout mais aussi dans la santé, le sport, la francophonie, ces dernières semaines ont mis à l’honneur des Africains de différents pays. Une belle illustration de la vitalité du continent et de la reconnaissance par la communauté internationale de sa contribution aux avancées de notre monde. 2021, « Une grande année pour l’écriture africaine » selon l’un d’entre eux, Damon Galgut, lauréat du Booker Prize ! Ce mot ne se limite pas à la littérature…

Qui sont-ils ?

Nous en présentons ci-dessous quelques-uns, dans leur rayonnante diversité. Qu’on en juge.

 

Mohamed Mbougar Sarr, 31 ans

Sénégalais, prix Goncourt 2021

 

A plus d’un titre, cette récompense, pour un ouvrage dense de 450 pages, La Plus Secrète Mémoire des hommes, est remarquable : Mohamed Mbougar Sarr est un des plus jeunes lauréats à recevoir ce prix – le plus prestigieux des prix littéraires français – depuis sa création en 1900. Il est aussi le 1er écrivain d’Afrique subsaharienne à être ainsi récompensé, élu dès le premier tour, par 6 des 10 membres. Jusqu’alors un seul écrivain noir, René Maran, français, né en Martinique de parents guyanais, administrateur d’outre-mer en Oubangui Chari en 1912, avait été lauréat du Goncourt, il y a exactement 100 ans, en 1921 pour son roman Batouala C’est aussi le sacre, rare dans l’histoire du Goncourt, d’un auteur et de 2 éditeurs, l’un français (Philippe Rey), l’autre sénégalais (Jimsaan), méconnus voire inconnus du grand public.

On ajoutera qu’il avait été retenu également dans les listes des prix Médicis, Femina, Renaudot…Et remporté en 2018 deux prix pour son 2ème roman Silence du chœur (Éditions Présence africaine) : celui de Littérature-Monde, parrainé par l’association Étonnants voyageurs de Saint-Malo, l’AFD et Télérama ainsi que celui du roman métis des lecteurs de la ville de Saint-Denis-de-la Réunion (qui l’avait déjà primé en 2015 pour son 1er roman, Terre ceinte.

Ceci, après avoir collectionné dans son pays natal, comme meilleur élève bachelier au Concours général de 2009, les prix, de philosophie, d’histoire, de la jeune écriture francophone.

La Plus Secrète Mémoire des hommes suit une trame de roman policier : bouleversé par la lecture du Labyrinthe de l’inhumain, texte devenu introuvable d’un mystérieux T.C. Elimane, l’apprenti écrivain Diégane Latyr Faye se lance dans une longue enquête visant à découvrir qui fut ce sulfureux auteur trop tôt disparu.

Cette quête impossible conduit le romancier en devenir au cœur même du labyrinthe de la création, là où s’entremêlent tous les genres ; roman initiatique, récit érotique, histoire d’amour, essai philosophique, compte rendu journalistique, poésie, biographie, témoignage, satire, pamphlet politique…Avec aisance, et surtout avec grâce, Sarr navigue entre les grands textes de la littérature occidentale et les mondes souvent jugés irrationnels des « légendes » africaines.

C’est aussi une mise en abime : le livre est construit autour de l’histoire  de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, prix Renaudot en 1968 pour Le Devoir de violence, avant que des accusations de plagiat ne viennent entraver une carrière prometteuse et ne le poussent à s’effacer de la scène jusqu’à sa mort en 2017.

 

Abdulrazak Gurnah, 73 ans, Tanzanien

prix Nobel de littérature 2021

Le 6 octobre, le prix Nobel de littérature a été attribué, pour l’ensemble de son oeuvre, à Abdulrazak Gurnah, auteur tanzanien vivant depuis de nombreuses années au Royaume-Uni.

Crée en 1901, ce prix a récompensé très peu d’écrivains issus d’Afrique. Abdulrazak Gurnah est de fait le 5ème à le recevoir en 120 d’existence, le 1er depuis 2003, année où il avait été décerné au romancier, JM. Coetze, d’origine sud-africaine, écrivant également en anglais.  A noter qu’il avait reçu en 2007, le prix RFI Témoin du monde pour son roman Près de la mer.

Né en 1948 sur l’île de Zanzibar, Abdulrazak Gurnah est arrivé en Angleterre en tant que réfugié à la fin des années 1960, alors que le pays connaissait une révolution qui, sous le régime du président Abeid Karume, a conduit à l’oppression des citoyens d’origine arabe. Jusqu’à sa récente retraite, Abdulrazak Gurnah était professeur de littérature anglaise et post-coloniale à l’Université de Kent à Canterbury.

Il a publié une dizaine de romans et un recueil de nouvelles, portant tous sur le thème de l’exil et dans lesquels il interroge « le hiatus culturel et géographique, entre vie passée et nouvelle vie ». 3 seulement sont à ce jour traduits en français : Paradise (publié en 1994), Près de la mer (2006), et Adieu Zanzibar (2017). « Voyager loin de chez soi offre de la distance et de la perspective, ainsi qu’un degré d’amplitude et de libération. Cela rend plus intenses les souvenirs, qui sont l’arrière-pays de l’écrivain » (Abdulrazak Gurnah dans The Guardian, en 2004)

Le jury indique l’avoir retenu pour sa prose traitant avec « empathie et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents ». Il a ainsi souhaité mettre à l’honneur la littérature d’un écrivain qui « rompt consciemment avec les conventions, bousculant la perspective coloniale pour mettre en valeur celle des populations locales ».

 

Fann Attiki, 29 ans, Congo-Brazzaville, prix Voix d’Afriques 2021

Lancé en 2019, à l’initiative des éditions JC Lattès et RFI, en partenariat avec la Cité internationale des arts, le prix Voix d’Afriques a pour vocation de faire émerger les nouveaux auteurs de langue française du continent africain. Il a pour ambition de soutenir et mettre en lumière les nouvelles voix littéraires africaines à travers des romans reflétant la situation d’un pays, une actualité politique, économique ou sociale, ou encore des textes plus intimistes.

Le 3 septembre, pour sa 2ème édition, il récompense le jeune romancier congolais, Fann Attiki pour son premier ouvrage, Cave 72. Né en 1992 à Pointe-Noire puis installé à Brazzaville, Fann Attiki, après avoir arrêté ses études, fait plusieurs petits métiers; il devient un moment comédien de théâtre, puis animateur d’ateliers de slam auprès des adolescents de la capitale. Amoureux de poésie orale, il entre en littérature, par hasard, à 17 ans, à la lecture des Trois Contes de Flaubert  à qui il voue un culte: « J’ai aimé le style impeccable. Et décidé qu’il serait désormais mon écrivain préféré, et que je prendrai exemple sur lui ». Il lira ensuite Maupassant, Mérimée, Céline, ainsi que ses aînés, Mabanckou, Gauz, Gaël Faye…Son rêve : obtenir un doctorat en grammaire. Écrire est sa passion : « Tant que j’écris, je donne et je vis »,  Il s’affirme écrivain engagé et volontairement optimiste : « L’Afrique n’est pas que famines et guerres. C’est aussi la joie de vivre », « le Congo n’importe qui peut y puiser son bonheur ». Malgré ses maux, il le dépeint comme formidablement tonique, vivant et résilient.

Cave 72, qui oscille sans cesse entre humour et poésie, enquête et satire, raconte, sur un mode haletant,  l’histoire de 3 jeunes qui se réunissent dans un café de Brazzaville, la Cave 72, après avoir « cassé le stylo » (arrêté leurs études, comme l’auteur). Ils deviennent malgré eux des eux des héros lorsqu’un complot politique éclate, faisant de leur bar, un repaire d’opposants.

Damon Galgut, 57 ans, Afrique du Sud, Booker Prize 2021

Le 3 novembre, Damon Galgut, 57 ans, sud-africain, a remporté le Booker Prize, le plus prestigieux prix littéraire britannique, pour son ouvrage, The Promise. Récompensant chaque année, l’auteur du « meilleur roman écrit en anglais », ce prix a déjà primé deux romanciers sud-africains, Nadine Gordimer et J.M. Coetzee, ce dernier à deux reprises.

A deux reprises, finaliste, en 2003 et 2010, Damon Galgut a souligné qu’il voulait l’accepter pour « toutes les histoires qui ont été racontées et celles qui ne l’ont pas été, pour les écrivains, reconnus ou non, de ce remarquable continent ». La présidente du jury a mis en relief « l’originalité » et la « fluidité de voix incroyables », de l’ouvrage, « un livre dense, avec une signification historique et métaphorique ».

The Promise est son 9ème roman, les 4 derniers ayant été publiés en France (Editions de l’Olivier). Il n’avait rien écrit depuis L’été arctique, il y a sept ans. Il évoque « le temps et comment il passe ». Il prend pour sujet la progressive dislocation d’une famille de fermiers blancs de Pretoria, sous le prisme de 4 enterrements successifs dans l’Afrique du Sud, de la fin de l’apartheid jusqu’à la présidence de Jacob Zuma. Damon Galgut explique que si un message était à retenir, « ce serait que la mortalité est ce qui sous-tend toutes nos vies » : « nous vieillissons tous et tout change au fur et à mesure que le temps passe ».

 

David Diop, 55 ans, Franco-Sénégalais

International Booker Prize 2021

Quelques mois, avant l’attribution du Booker Prize à Damon Galgut, la même Fondation avait, le 2 juin, décerné son International Booker Prize 2021, réservé à des auteurs non anglophones, à David Diop, franco-sénégalais, pour son roman Frère d’âme, traduit en anglais sous le titre, At Night All Blood is Black. Frères. Frère d’âme, paru en 2018, avait reçu la même année, dès sa parution en France, le prix Goncourt des Lycéens, remis au Palais de l’Élysée, par le président Macron.

David Diop, né à Paris, après une partie de sa jeunesse au Sénégal, est revenu en France pour ses études. Maître de conférences en littérature à l’université de Pau depuis 1998l, il est enseignant-chercheur, spécialiste de littérature du 18ème siècle, et écrivain. Il vient de publier, aux Editions du Seuil, un 4ème roman, La Porte du voyage sans retour.

Frère d’âme est un roman poignant sur la Grande Guerre, paradoxalement poétique. Il raconte une humanité perdue et retrouvée au cœur de l’horreur, à travers l’histoire de deux amis inséparables, tirailleurs sénégalais séparés par la mort et la folie.

 

Dr Denis Mukwege, 66 ans, Congolais (Kinshasa),

Prix Sakharov 2014, Prix Nobel de la Paix 2018

publie La force des femmes

Ce chirurgien et gynécologue, défenseur des droits de l’homme et de la femme, pasteur évangéliste, soigne depuis plusieurs décennies les femmes victimes de violences sexuelles.

Il dirige depuis 1999, l’hôpital du Panzi, dans la province du Sud-Kivu, en RDC, zone exposée à la malnutrition, l’instabilité politique et aux exactions armées. Quelque 70 000 femmes, ayant subi des viols d’une extrême violence, y ont été « réparées », positionnant son directeur comme l’un des spécialistes mondiaux du traitement des fistules.

Au-delà du traitement médical ou chirurgical, il est fourni à ces femmes de tous âges un soutien psychologique, socio-économique et légal, comme l’explique le Dr Mukwege. Militant engagé, il est lui-même menacé de mort et cible de plusieurs tentatives d’assassinat, le contraignant à vivre sous surveillance permanente à l’intérieur de son hôpital.

Il publie ce mois d’octobre, un manifeste de 300 pages, sous forme de Mémoires, La force des femmes, écrit pour saluer le courage et la résilience de ses patientes. Livre de combat, il dresse un portrait saisissant de ces femmes. Certaines parviennent à se reconstruire grâce aux soins prodigués par le Dr Mukwege, les autres, rejetées par leurs proches, se retrouvent exposées à l’exclusion, à l’exil, voire de nouveau au viol.

Son combat se veut universel, un appel à la promotion des droits des femmes, leur autodétermination et leur émancipation. C’est à l’accomplissement de ces objectifs qu’il destine son livre, comme ses inlassables tournées dans le monde ainsi que les multiples décorations, distinctions universitaires et hommages divers.

 

Éric Salvador Tchouyo, Camerounais, 40 ans

Champion du monde de Scrabble en français

Éric Salvador Tchouyo a remporté le 26 octobre 2021, à Aix-les-Bains en Savoie, parmi 600 participants en lice, le titre de champion du monde du Scrabble classique en français. La finale, âprement disputée, était inédite puisqu’elle opposait deux camerounais, lui-même et Amédée Assomo, son compatriote et son « professeur » ! Tous les deux se connaissent depuis des années, pratiquant le Scrabble en club, plusieurs fois par semaine, à Yaoundé et Douala. Éric est capitaine de l’équipe camerounaise de Scrabble, Amédée, président de la fédération nationale.

Éric Salvador Tchouyo, comptable de métier, 40 ans, se targue de connaître tous les mots de la langue français de deux à neuf lettres.  Son secret : « Pour arriver à ce niveau, il faut travailler, lire, écrire ». Amédée Assomo le rejoint en affirmant qu’un bon joueur de Scrabble peut mémoriser jusqu’à 80% du dictionnaire, « la bible au quotidien » d’Éric.

C’est aussi un fervent de la langue française : « C’est une grande histoire d’amour. Dans une relation amoureuse, c’est toujours intéressant lorsque c’est réciproque. Dire je t’aime et avoir un retour. Depuis pas mal d’années, c’était comme si c’était à sens unique. Avec ce titre, elle m’a retourné cet amour-là ». Amédée complète : « Le Français, c’est la langue de l’amour, la langue de la beauté, la langue de la classe » !

Déjà triple champion d’Afrique, le Cameroun remporte cependant pour la 1ère fois, le titre mondial du Scrabble classique en français. Ce jeu pratiqué dans toute l’Afrique subsaharienne qui compte plusieurs champions mondiaux est une belle vitrine d’une francophonie vivante et jeune. On notera d’ailleurs que c’est le Sénégal qui abrite la 2ème plus importante fédération après la France.

 

Didier Drogba, 43 ans, légende du football, Ivoirien

 Ambassadeur de bonne volonté pour le sport et la santé 

Déjà défenseur actif de la santé (lutte contre le paludisme et contre le VIH notamment) et du développement durable auprès des populations vulnérables, Didier Drogba aidera l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Agence sanitaire de l’ONU, à « promouvoir ses orientations sur les bienfaits de l’exercice physique et autres modes de vie sains, et à faire connaître la valeur du sport, en particulier auprès des jeunes »

Cette nomination a été annoncée le 18 octobre 2021 à l’occasion d’une cérémonie organisée pour le lancement du partenariat « Healthy 2022 World Cup – Creating Legacy for Sport and Health » au Qatar en présence de l’OMS et de la Fédération du football mondial, la FIFA.

Le footballeur ivoirien s’est dit honoré d’aider l’Agence sanitaire mondiale de l’ONU à « promouvoir ses orientations sur les bienfaits de l’exercice physique et autres modes de vie sains, et à faire connaître la valeur du sport, en particulier auprès des jeunes ». Il rejoint ainsi les autres ambassadeurs de l’OMS, dont Alisson Becker, footballeur brésilien, Michael Bloomberg, fondateur de Bloomberg Philanthropies et élu trois fois maire de New York, Cynthia Germanotta, présidente de la Born This Way Foundation et Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique.

L’OMS estime que 4 adolescents sur 5 dans le monde ne pratiquent pas suffisamment d’exercice physique. Or une activité physique régulière, en particulier par le biais du sport, contribue à faire baisser la tension artérielle et à atténuer le risque d’hypertension, de maladie coronarienne, d’accident vasculaire cérébral, de diabète et de divers types de cancer (sein et côlon, par exemple).

Considéré comme l’un des meilleurs joueurs africains de tous les temps, deux fois, – 2006 et 2009 – « Joueur africain de l’année », Didier Drogba, 43 ans, un des meilleurs attaquants de sa génération, commence sa carrière en France, au Mans puis à l’Olympique de Marseille. Transféré au Royaume Uni, au Chelsea FC, il est élu après son départ, « meilleur joueur de l’histoire du club » par les supporters.  Il a fait partie de l’équipe de Côte d’Ivoire de 2002 à 2014, capitaine de la sélection, deux fois finaliste de la Coupe d’Afrique des nations (2006 et 2012). En 20 ans de carrière, il aura joué 700 matchs et marqué 360 buts ! Il est depuis sa retraite en 2018, Vice-président de l’organisation internationale Peace and Sport et Vice-président de la commission des acteurs de football au sein de la FIFA.

 

Pour en savoir plus

 

Mohamed Mbougar Sarr

France Inter, L’invité de 7h50 (4 novembre, 9mn)

France Culture (3 novembre)

La Grande Librairie

 

Abdulrazak Gurnah

France Culture (7 octobre)

 

Fann Attiki

Cave 72 vu par Stéphanie Hanet, Librairie Coiffard

RFI, Fann Attiki (1er septembre)

Cave 72, Extrait

 

Damon Galgut

Livreshebdo (4 novembre): Le Booker Prize 2021 pour Damon Galgut

 

Dr Denis Mukwege

La force des femmes, Extrait 

 

Eric Salvador Tchouyo

France Inter (31 octobre)

 

Didier Drogba

La nomination comme ambassadeur de bonne volonté de  l’OMS (18 octobre)