Le Président du Sénégal, Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine, plaide auprès de son homologue, Vladimir Poutine, la sécurité alimentaire de l’Afrique et offre sa médiation

Accompagné du Président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat (Tchad), le Chef de l’État sénégalais, Macky Sall, actuellement Président en exercice de l’UA, s’est entretenu pendant 3 heures, le 3 juin à Sotchi, sur les rives de la mer noire, avec son homologue russe, Vladimir Poutine.

L’Afrique, victime du conflit en Ukraine, menacée dans sa sécurité alimentaire 

Au-delà de la demande générale d’« une désescalade et de travailler pour la paix », Macky Sall venait pour faire  « prendre conscience » au Président russe que les pays africains sont « des victimes » du conflit en Ukraine, menacés par « un ouragan de famines », selon les termes de l’ONU. Certains d’entre eux importaient en effet plus  de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie. Une flambée des prix des céréales mais aussi des huiles, des engrais, produits de base en Afrique, massivement importés, en grande partie de Russie, Ukraine et Biélorussie, est redoutée. Leurs prix ont déjà dépassé ceux des Printemps arabes de 2011 et des émeutes de la faim de 2008. Ils menacent l’équilibre précaire du continent. Celui-ci, après 25 ans de croissance de son PIB, fait face pour la première fois, en 2022, depuis près de 3 décennies à une récession et une baisse de son indice de développement humain, conjuguées à des foyers de déstabilisation politique; ébranlé par plusieurs coups d’État en chaîne, il est affecté en outre par des épisodes de sécheresse ou des pluies diluviennes, notamment en Afrique de l’Est

Le Président russe détaille plusieurs pistes pour faciliter l’approvisionnement de l’Afrique en céréales et attend au moins sa neutralité dans le conflit…

Le Président Poutine a déclaré peu après cette rencontre qu’il « il n’y a pas de problème pour exporter les céréales d’Ukraine », accusant à nouveau les Occidentaux à faire du « bluff », en détaillant plusieurs pistes : passer par Marioupol et Berdiansk, deux ports conquis par la Russie en mer d’Azov, qui donne accès à la mer Noire, mais aussi les ports de la mer Noire restés sous contrôle ukrainien, notamment Odessa. Il a également mentionné la voie fluviale, via le Danube, à travers la Roumanie, la Hongrie et la Pologne ou encore via la Biélorussie, vers les ports de la Baltique. La Russie attend, sinon que les pays africains lui apportent leur soutien, qu’ils restent neutres, dans les instances internationales, comme l’ONU.

Le Président Macky Sall affirme être « rassuré » à l’issue de cette rencontre

Le président Macky Sall a déclaré être sorti « rassuré » de cette rencontre, faisant valoir à son homologue que l’UA défend depuis le début du conflit une position de non alignement et de neutralité, une partie des pays africains ayant évité de condamner la Russie aux votes des Nations Unies du 3 mars et 7 avril. On rappellera parallèlement l’intensification de la diplomatie russe en Afrique : Sommet Afrique-Russie de Sotchi en octobre 2020  (les 2 présidents s’étaient déjà rencontrés à cette occasion),  présence russe en RCA et encore plus récemment au Mali, signature depuis 2017 d’une vingtaine d’accords de défense ou de coopération avec plusieurs pays africains.

Il a ajouté avoir trouvé le Président russe « engagé et conscient que la crise et les sanctions créent de sérieux problèmes aux économies faibles, comme les économies africaines ».

Bien que « condamnant l’invasion », Macky Sall avait déjà expliqué au chancelier allemand, Olaf Scholz, à Dakar lors d’une rencontre le 22 mai, que le conflit « affecte » les Africains mais se déroule « sur un autre continent » et que « nous voulons la paix, c’est ça la position africaine ».

Il affirme que les pays africains oeuvrent « pour qu’il y ait un cessez-le-feu, qu’il y ait un dialogue puisque de toute façon on finira par s’asseoir autour d’une table« .

L’Afrique entend faire entendre sa propre voix dans le concert planétaire

Quel qu’en soit le résultat, il est à saluer cette initiative africaine, dans laquelle le continent, plutôt habitué aux interventions de l’extérieur, s’implique sur la scène internationale, entre Occident et Russie, en affirmant ses propres intérêts. Une visioconférence entre le  Président ukrainien Volodymyr Zelensky et ses pairs africains, voire une visite du Président Macky Sall à Kiev, pourrait suivre.

Ainsi que le note, dans un entretien à TV5 Monde, Antoine Glaser, journaliste, grand connaisseur de l’Afrique, si l’Afrique  » ne jouera aucun rôle concrètement sur la résolution du conflit » elle  » va peser de plus en plus. Le monde d’aujourd’hui est multipolaire, et l’Afrique le prend en compte, elle veut s’imposer« .  Elle s’estime « mondialisée » et donc non nécessairement alignée sur les positions européennes.