Assouplissement des mesures de confinement en Côte d’Ivoire depuis le 8 mai, dans un pays fortement impacté au plan économique et face aux incertitudes de l’élection présidentielle d’octobre prochain

A la suite d’une réunion du Conseil National de Sécurité, constatant une décélération de l’épidémie, le président Alassane Ouattara s’est adressé pour la deuxième fois à la nation le 7 mai, annonçant une série de mesures de déconfinement. Elles seront progressives et surtout géographiquement différenciées, entre le Grand Abidjan et l’intérieur du pays.

 

Une épidémie à ce jour contenue

Comme sur le continent en général, l’épidémie apparaît en effet, depuis son déclenchement et jusqu’à ce jour, contenue bien qu’une une hausse des contaminations soit constatée ces derniers jours. Au 12 mai, 1730 cas ont été enregistrés (pour une population de 24 millions d’habitants avec près du tiers à Abidjan) dont 818 guéris et 21 décès. Depuis le 21 avril, aucun cas de contamination n’est reporté dans l’arrière-pays.

On rappellera que l’Afrique, qui représente 17 % de la population du globe, ne compte que 1,1 % des malades et 0,7 % des morts de la planète. Avec déjà plus de 12 000 guérisons, elle semble résister mieux que les autres régions. Au 30 avril, l’épidémie faisait 1,3 morts par million d’habitants, contre 76 en Amérique et 179 en Europe. Le différentiel est manifeste même si l’on augmente les chiffres officiels pour tenir compte des insuffisances des statistiques nationales. Il convient cependant de rester prudent donc très vigilant:  les situations sont contrastées d’un pays à l’autre;  les derniers chiffres  indiquent une reprise des contaminations même si les taux de mortalité continuent à être infiniment plus faibles que partout ailleurs dans le monde. Dans cet ensemble, la Côte d’Ivoire se situe approximativement parmi les 20 pays les plus affectés des 54 états africains.

 

Une riposte sanitaire rapide accompagnée d’un plan de soutien

Les mesures rapides et déterminées prises par les gouvernements expliquent en partie la contention du fléau. En Côte d’Ivoire, 2 plans ont été adoptés pour y faire face. Le premier est un Plan de Riposte Sanitaire (96 milliards FCFA soit 150 millions €) pour lutter contre la propagation de la maladie. Le second, dénommé Plan de Soutien Économique, Social et Humanitaire, est doté d’une enveloppe de 1700 milliards FCFA (2,5 milliards €), soit 5% du PIB du pays . Au 8 mai, 190 milliards de F CFA ont été décaissés par le gouvernement au titre de ce plan, répartis entre population (50 Mds), PME (40 Mds), grandes entreprise (30 Mds), secteur informel (20 Mds) et secteur agricole, notamment vivrier (50 Mds). Un souci de transparence et de bonne allocation de ces aides accompagne leur mise en œuvre, avec une gestion centralisée au ministère de l’Économie et des Finances et le recrutement de cabinets privés de notoriété internationale. La distribution des premiers soutiens devrait être effective dès le 15 mai.

 

Un assouplissement des mesures à partir du 8 mai, différencié entre la capitale économique Abidjan et le reste du pays

Annoncées par le président Alassane Ouattara, le 7 mai, elles atténuent un confinement particulièrement contraignant pour une population habituée à vivre à l’extérieur, en maintenant le dispositif d’alerte sanitaire jusqu’à la fin de l’année 2020. Les capacités opérationnelles des Forces de Défense et de Sécurité aux frontières ainsi qu’au niveau des voies de contournement seront accrues et les mesures de surveillance des mouvements sont renforcées afin de prévenir toute entrée de personnes contaminées sur le territoire national (prime spéciale de 50 000 F CFA aux forces de l’ordre pour 3 mois à compter de fin avril).

Par ailleurs les vols réguliers commerciaux vers l’extérieur de la Côte d’Ivoire reprendraient le 17 mai prochain. Air France, en accord avec les autorités, assurerait ce jour un vol de « rapatriement » commercial qui serait le dernier avant une reprise courante. Il est à observer que déjà les voyageurs internationaux en partance d’Abidjan sont classés parmi les « moins risqués ».

A l’intérieur du pays, à partir du 8 mai :

  • Levée du couvre-feu ;
  • Réouverture des bars, maquis et restaurants ;
  • Rassemblements autorisés jusqu’à 200 personnes (au lieu de 50) ;
  • Réouverture des établissements d’enseignement préscolaire, primaire, secondaire et supérieur.

Dans le Grand Abidjan :

  • Couvre-feu levé au 15 mai 2020 et horaires réaménagés de 23 heures à 4 heures du matin à compter du 8 mai ;
  • Réouverture des restaurants, maquis, bars, boîtes de nuit, cinémas et lieux de spectacle à partir du 15 mai, et autorisation des rassemblements de populations de plus de 50 personnes à la même date ;
  • Réflexion en cours pour une réouverture prochaine des établissements scolaires et universitaires ;
  • Obligation du port du masque : une commande totale de 200 millions d’unités de masques a été passée, dont 51 millions déjà livrés ;
  • Isolement du Grand Abidjan maintenu et renforcé avec des contrôles de sécurité et des contrôles sanitaires systématiques afin de veiller au respect du transport des marchandises et des déplacements des personnes autorisées.

 

Un lourd impact économique, encore difficile à chiffrer

Si la Côte d’Ivoire, comme le continent dans son ensemble, est relativement encore moins impactée par le virus que le reste du monde, le choc économique est frontal, à l’image des autres pays africains, en raison de sa grande ouverture à l’extérieur, tant en entrées qu’en sorties. 3 scénarios ont été avancés par le ministère de l’économie et des finances, selon l’évolution de la pandémie :

  • Scénario pessimiste, avec une maitrise sanitaire à fin décembre seulement : la croissance du PIB serait alors de +0,8% soit une perte de l’ordre de 6,6%
  • Scénario optimiste, avec une maitrise fin juin. La croissance serait alors de +3,6% contre +7,2% prévu avant l’apparition de la maladie, proche des projections du FMI (+2,7%)
  • Scénario médian, avec une maîtrise de la crise à fin septembre : +1,6%, soit un recul d’environ 5,6%

 

L’élection présidentielle, en octobre, sous tensions

Enfin l’élection présidentielle de cette année, sujet de grandes tensions en Côte d’Ivoire, et dont certains, notamment dans les rangs de l’opposition, demandent le report, arguant de la crise sanitaire, serait maintenue au 31 octobre 2020, comme fixé par la Constitution. La Commission électorale indépendante (CEI), maître d’œuvre de son organisation, devrait proposer le calendrier opérationnel au chef de l’État très prochainement.

Le Président Ouattara, au terme de son 2ème mandat, a annoncé, avec solennité, lors de son discours sur l’état de la nation face au Congrès, qu’il ne serait pas candidat à un 3ème quinquennat. Cette annonce qu’il motivait par son souci, à 78 ans, de « transférer le pouvoir à une jeune génération » avait provoqué une grande surprise, saluée par certains, comme un acte de respect vis-à-vis de l’alternance démocratique, peu fréquent en Afrique, et conforme à ses propres engagements, mais appréciée par d’autres comme une manœuvre politique.

Son principal opposant, possible candidat, l’ancien président Henri Konan Bédié, président du PDCI, vient de fêter son 86ème anniversaire tandis que Laurent Gbagbo, 75 ans, – acquitté par la Cour Pénale Internationale de La Haye (CPI)  en janvier 2019 mais depuis assigné à résidence en Belgique après appel de la procureure de la même Cour – est aussi perçu comme potentiel candidat. Sans compter sur Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion en 2000, puis ministre dans les gouvernements de réconciliation et de transition, ensuite, sous la présidence d’Alassane Ouattara, premier ministre et président de l’Assemblée nationale, contraint à démissionner en 2019 et à séjourner à l’étranger. Alors qu’il a été le premier à annoncer sa candidature en octobre 2019, accusé de corruption et de déstabilisation du pays, il a été condamné à 20 ans de prison le 28 avril dernier.

Et pour compliquer encore davantage le paysage politique ivoirien actuel, l’actuel premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, 61 ans, désigné comme candidat du parti présidentiel RDPH, est depuis le 3 mai, hospitalisé en France, pour une affection semble-t-il d’origine cardiaque. Annoncé comme prochainement de retour, il quitterait ses fonctions de Premier ministre pour se consacrer à la campagne présidentielle.